POÈME DE MARTINIQUE : GARÇON

POÈME DE MARTINIQUE : GARÇON
Poème de Martinique d’Édouard Glissant (1928-2011) – Martinique.

C’était en un temps
Où le journal était un carré blanc
Tenu par la mère au-dessus du seuil
Où jouait l’enfant.

Et dehors il y avait

Tous les nids et tous les champs,

Tous les chemins creux au-dessous du vent

Champs

Avec leurs trous pour les serpents.

Il y avait les ronces des champs.

Et en soi une force

Plus forte que le vent,

Pour plus tard et pour maintenant,

Contre tout ce qu’il faudrait,

Certainement.

C’était bien pour sa rançon
Qu’il lui rapportait le pain.

Et pour éteindre son œil
Qu’il n’abusait pas du lait.


Il y avait des épaves de pain

Qu’il n’arrivait pas à manger — tellement

Il leur contait de choses.

On fait semblant d’être à la table
Et d’écouter.

Mais on a glissé

Parmi les feuilles mortes,

Feuilles mortes

Et l’on couve la terre.

On peut se sourire
Et y colérer.
On caresse les feuilles
Et on les déchire.

A la voix qui gronde
On en sort mouillé,
Pour obéir.

Mieux valait faire la petite guerre dans les champs

Que s’angoisser au soleil couchant,

A cause de son sourire peut-être, à elle,

Ou à cause de tout.

Mieux valait se faire des bâtons avec le houx

Pour la gueule des chiens,

Mieux valait se battre dans les genêts,

Rendre coup pour coup et deux coups pour un —

Que venir encore aux étranges flaques d’eau,
Pleines de reptiles, de vase, de racines,
Attendre d’y voir le soleil couchant
Verser comme du sang.

Plus pour chercher la carrière des fées,
La dormeuse dans le bois aux merles d’or,
La caresse peureuse de la bête câline
Qui sort vers la nuit de la terre des champs,
Les loups de l’hiver pour leur faire tout dire
Des graines de vipère, du palais des guêpes.

La dormeuse dans le bois aux merles d’or

S’il est question de loups, ce n’est que pour se battre,
Pour enfoncer le poing bien profond dans leur gueule
Et voir virer leurs yeux —

Car c’est bon d’être fort.

Quand la guerre est au loin sur les chantiers de l’est,
Les garçons du bourg
S’acharnent aux champs.

Avant que les touche la rosée du soir,
Force est de venir patauger dans l’eau
Près des haies feuillues.

Et toujours ils savent
Y tailler un arc.

Mais ils ne savent pas
S’arracher cette rage.

Source : Afropoésie

Voir Aussi: La chronique du poète

La Rédaction

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