Quand les artistes Sammy Baloji et Kapwani Kiwanga interrogent les sociétés post-coloniales

Quand les artistes Sammy Baloji et Kapwani Kiwanga interrogent les sociétés post-coloniales

Commande d’œuvres pour l’un, prix Marcel-Duchamp pour l’autre, deux artistes disséquant le passé colonial de l’Europe sont mis à l’honneur en France à l’aube de la Saison Africa 2020.

Deux noms :

  • Kapwani Kiwanga
  • Et Sammy Baloji.

Deux artistes majeurs de la scène contemporaine. Et deux plasticiens travaillant sur les colonisations et la persistance de l’histoire coloniale dans le présent. Deux créateurs honorés aujourd’hui en France.

Flowers from Africa

La première, Kapwani Kiwanga (42 ans), vient de recevoir le prestigieux prix Marcel-Duchamp au Centre Pompidou pour son installation Flowers from Africa. En 2018, elle avait déjà été honorée par le Prix artistique Sobey et par le Frieze Artist Award de New York.

Anthropologue de formation, diplômée de l’Université McGill de Montréal, l’artiste franco-canadienne aux origines tanzaniennes s’est installée dans l’Hexagone en 2005. 

Son travail questionne essentiellement les sociétés post-coloniales.

ELLE S’ÉTAIT PRÉSENTÉE TELLE UNE CONFÉRENCIÈRE VENUE DU FUTUR

Avec Afrogalactica, elle s’était présentée telle une conférencière venue du futur pour raconter les États-Unis d’Afrique. En effet, créés en 2058, nourrissant son travail de références à l’afrofuturisme comme au penseur martiniquais de la décolonisation, Frantz Fanon.

Avec Maji Maji, elle s’était intéressée à la rébellion des Maji-Maji contre l’occupation coloniale allemande entre 1905 et 1907, au cours de laquelle Kinjikitile Ngwale, connu sous le nom de Bokero, distribua à ses adeptes de l’eau censée les protéger des balles.

Kapwani Kiwanga s’inspire d’archives iconographiques des cérémonies d’indépendance pour recréer des compositions florales utilisées à l’époque.

Flowers for Africa, qui lui vaut aujourd’hui une reconnaissance internationale, était présentée en février 2020 au Macaal (Marrakech), dans l’exposition Have You Seen a Horizon Lately, sous le commissariat de Marie-Ann Yemsi – juste avant le confinement.

Ces bouquets de fleurs destinés à se faner racontent en un raccourci saisissant une bien longue histoire. Pour ce travail au long cours entamé en 2013 lors d’une résidence à Dakar (Sénégal), Kapwani Kiwanga s’inspire en effet d’archives iconographiques des cérémonies d’indépendance afin de recréer des compositions florales utilisées à l’époque…

LES INDÉPENDANCES, DES MOMENTS REMPLIS D’ESPOIR QUI SE SONT FANÉS

Avec ses jeux de mots entre l’anglais et le français (« Still Life » signifie « nature morte »), l’œuvre rend certes hommage aux luttes pour l’indépendance, mais « avec ces compositions : comme soumises aux vicissitudes du temps, l’artiste nous invite à porter un nouveau regard sur ces moments d’accession à la souveraineté, remplis d’espoir et d’enthousiasme, qui avec le temps se sont fanés ».

Les strates de la domination coloniale

Comment raconter l’histoire ? Comment interpréter l’archive ? Autant de questions qui irriguent aussi le travail du Congolais Sammy Baloji, originaire de Lubumbashi où il est né en 1978. Longtemps connu comme photographe, il a approfondi sa pratique et son travail de plasticien enraciné dans le passé de la RD Congo explore toutes les strates de la domination coloniale, notamment économique, jusqu’au présent. La Réunion des musées nationaux–Grand Palais (RMN-GP), associée à la Saison Africa 2020, l’ont invité à concevoir deux sculptures pour les socles de la façade du Grand Palais, à Paris, du côté de la station de métro Champs-Élysées-Clémenceau.

En réponse, l’artiste a réalisé deux instruments de musique en cuivre, un sousaphone et un cor d’harmonie, qui renvoient aux instruments abandonnés en Louisiane au XIXe siècle, lors de la défaite du corps expéditionnaire français. Instruments qui furent ensuite récupérés par les esclaves et utilisés dans les fanfares (« Brass Bands »). D’où le nom de l’œuvre : « Johari – Brass Band ».

Instruments scarifiés

Deux sculptures du Congolais Sammy Baloji ornent la façade du Grand Palais située du côté de la station de métro Champs-Élysées-Clémenceau, à Paris.

L’utilisation du cuivre n’est évidemment pas un hasard, puisque ce métal abondant dans le sous-sol congolais est à l’origine d’une exploitation éhontée du pays et de sa main-d’œuvre par des multinationales rapaces et des élites souvent corrompues, et ce depuis 1885. Sammy Baloji a scarifié le cuivre de ces instruments en référence aux pratiques anciennes éradiquées par la présence coloniale, et il les a disposés dans des structures métalliques reprenant la forme de minerais du Katanga. Les instruments semblent ainsi emprisonnés dans des cages de métal. Un geste fort de sens qui prolonge ses travaux précédents.

UNE RÉFÉRENCE À CE QUI DEMEURE DANS L’OMBRE MAIS INFLUENCE LE VISIBLE

« Tout part d’anciennes photos d’archives utilisées pour des classifications ethnographiques qui viennent des collections du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervueren », expliquait Baloji lors d’une précédente exposition où les scarifications jouaient déjà un rôle. On retrouve dans ce travail la recherche polysémique propre à l’œuvre de Baloji, et une référence à ce qui est connu, à ce qui est caché, à ce qui demeure dans l’ombre mais influence le visible.

Sammy Baloji est originaire de Lubumbashi où il est né en 1978.

Le terme Johari fait ainsi référence à la « fenêtre de Johari » qui sert à classer les différentes informations accessibles, ou pas, à une personne. Fort d’une riche actualité, Sammy Baloji présente actuellement à la galerie Imane Farès l’exposition Kasala: The Slaughterhouse of Dreams or the First Human, Bende’s Error, jusqu’au 14 novembre.

La consécration simultanée de ces deux artistes pourrait apparaître comme un simple hasard, mais peut-être s’agit-il d’un peu plus que cela. Débat sur les restitutions, organisation d’une saison consacrée à l’Afrique, multiplication des publications et des expositions consacrées à la période coloniale : plus que ses voisins, la France se penche sur son passé et accepte peu à peu de le regarder en face.

JeuneAfrique

La Rédaction

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