Le retour plein d’« Optimisme » de Songhoy Blues

Le retour plein d’« Optimisme » de Songhoy Blues

Trois ans après son appel à la « Résistance », le quatuor malien, Songhoy Blues, revient avec un nouvel album tout aussi militant et empreint d’espoir pour leur pays et pour le monde.

« Barre », qui signifie « changement » en songhaï, est sans doute le morceau qui résume le mieux la teneur d’Optimisme. Et la situation actuelle du Mali, en pleine transition politique. Enregistré à New York au terme d’une longue tournée américaine fin 2019, soit bien avant le renversement de l’ancien chef de l’État Ibrahim Boubacar Keïta, ce troisième opus a néanmoins quelque chose de prémonitoire.

« On a toujours espéré un changement au regard de la corruption dans les urnes, confie Aliou Touré, leader de Songhoy Blues. Le Malien lambda cède bien trop souvent à l’achat des votes. C’est à lui de prendre ses responsabilités et de se remettre en question s’il aime son pays », martèle-t-il.https://www.youtube.com/embed/6tbSCwXlI8o?feature=oembed

« Don’t worry, be happy »

Pour le chanteur charismatique, le fossé générationnel entre la population malienne et la classe politique reste une aberration. « L’avenir du pays ne pourra pas se construire avec ces vieux messieurs qui ne savent même pas manipuler un téléphone portable, accuse-t-il. Et qui ne sont là que pour gérer des institutions et parler chiffres d’affaires ».

Conscient du potentiel militant d’une certaine frange de la jeunesse, comme l’a démontré la création par des blogueurs maliens du hashtag viral #Matransition, visant à inclure la nouvelle génération dans la transition du pays, Aliou Touré reste positif. Sur fond de déferlantes rock, le combo invite ainsi le peuple malien à ne pas s’en faire et à croire en son futur. En témoigne « Worry », clin d’œil à l’hymne optimiste du chanteur américain Bobby McFerrin, « Don’t worry, be happy ».

Droits des femmes et devoir de mémoire

Mais pas question pour ces trublions punk de sombrer dans la mièvrerie et d’occulter une partie de la réalité socioculturelle du pays. « Mes voisins ont huit enfants et le mari n’est jamais là car il a trois autres femmes, confie celui qui a trouvé refuge à Bamako, après avoir été chassé de Gao par les islamistes en 2012. Conséquence, les gamins ne sont pas éduqués et traînent dans les rues ».

Un constat qu’Aliou Touré détaille sur « Gabi », un morceau qui dénonce le mariage précoce et forcé des jeunes filles. « Que deviennent ces enfants victimes de ces unions imposées ?, s’insurge-t-il. Le changement doit aussi passer par le droit des femmes, pour que l’avenir de la nouvelle génération soit préservé », estime ce père de famille.

LA JEUNESSE AFRICAINE DOIT RÉCLAMER SES DROITS ET ÉVEILLER SA CONSCIENCE POLITIQUE »

Le combat pour l’éducation est au cœur de cet album, qui appelle aussi au devoir de mémoire. Alors que des mouvements pacifiques pour la vie et les droits des Noirs agitent le monde, Aliou Touré souhaite réveiller l’histoire de la traite (avec « Esclavagisme »), qu’il estime tombée dans l’oubli. « Les programmes scolaires ont été modifiés, on balaie des livres d’histoire cette période pourtant constitutive de notre identité. La jeunesse africaine s’éloigne de son passé et de sa culture, et ne s’intéresse pas à l’actualité, observe-t-il. Pourtant, elle aussi doit être en mesure de réclamer ses droits et d’éveiller sa conscience politique car elle est confrontée à de nombreux défis : économiques, écologiques et sanitaires ».

Malien et universel

Avec sa bande, il œuvre pour sa part auprès de Water Aid, une ONG qui travaille à l’assainissement des eaux dans les régions du Nord, comme Gao et Tombouctou. « On parle de se laver les mains pour lutter contre la pandémie de Covid-19, mais ces gens-là n’ont même pas d’eau potable ! Leur crise à eux existe depuis bien longtemps, depuis la guerre civile, la malaria », rappelle-t-il.

Si les bluesmen du désert ont parcouru le monde en défendant leurs deux précédents opus, Music in exile (2015) et Resistance (2017), avec des centaines de dates de l’Angleterre à l’Australie en passant par le Danemark, la France et les États-Unis, ils n’ont jamais desserré leurs liens avec le Mali. Surtout en cette période de pandémie mondiale, qui les assigne à domicile. « Nous en profitons pour véritablement passer du temps avec notre famille à Bamako, nous ressourcer et écrire, glisse Aliou Touré. Mais cette situation nous renvoie aussi à nos propres responsabilités et nous oblige à nous remettre en cause. »

Insufflé en songhaï, la langue d’inspiration du groupe, en bambara, la langue nationale, en français, « la langue apprise à l’école », et en anglais, « la langue apprise sur les routes », cet album se veut ancré dans la réalité malienne tout en étant résolument universel, au vu des crises qui touchent « l’ensemble des sociétés ».

JeuneAfrique

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La Rédaction

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