Thomas Sankara, l’homme intègre

Thomas Sankara, l’homme intègre

Thomas Isidore Noël Sankara est fils d’un père Peul, et d’une mère Mossi. Son père est originaire du village de Sitoèga dans le département de Bokin dans la province du Passoré. Il grandit entre valeurs militaires et religiosité chrétienne.

En effet, son père est un ancien combattant et prisonnier de guerre de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, ses affectations successives, devenu infirmier-gendarme, dans plusieurs régions du pays, lui permettent d’échapper à la grande pauvreté dans laquelle vivent la plupart de ses contemporains.

Jeunesse et parcours scolaire

Thomas Sankara fait ses études secondaires d’abord au lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, deuxième ville et capitale économique du pays. Puis, de la seconde au baccalauréat, à Ouagadougou (capitale politique du Burkina), au Prytanée militaire de Kadiogo.

Durant ses études, il côtoie des fils de colons. Il sert la messe mais refuse d’entrer au séminaire.

Bernard Sanou, ancien camarade et actuel président du mémorial Thomas-Sankara nous dit :

« Par son esprit vif et son éloquence, il est devenu le leader de notre groupe d’officiers… Il s’infligeait une discipline très stricte. Lorsqu’il était élève de jour, en charge de diriger les activités, il nous épuisait avec une cadence infernale. Il était le prototype de l’ordre, de la discipline et de la rigueur. »

Après le baccalauréat, tout comme Blaise Compaoré, il choisit de poursuivre une formation d’officier. En effet, il entre à l’École militaire inter-armes (EMIA) de Yaoundé au Cameroun. Puis à l’académie militaire d’Antsirabé, à Madagascar, une école interafricaine d’officiers. Où, il étudie les sciences politiques, l’économie politique, le français et les sciences agricoles.

Expérience militaire à Madagascar

Thomas Sankara

La Grande Ile est alors en proie à une révolution où l’armée joue un rôle capital.

Thomas Sankara se décide à rester une année supplémentaire dans la campagne malgache. Là, il effectue un stage au sein des unités de service civique, et séjourne longuement en brousse auprès des paysans. 

Ainsi, durant ses études à Madagascar, il assiste en 1972 à la révolution. En effet, celle-là même qui conduit à la fin du régime de Philibert Tsiranana.

Cela l’amène à concevoir l’idée d’une « révolution démocratique et populaire ».

Bernard Sanou raconte que : 

« Après Madagascar, il est devenu un autre personnage, plus affirmé politiquement. »

Il précise :

Un jour, il me dit : « Et si on s’intéressait à l’avenir du pays ? » Le socialisme à la russe l’inspirait, mais il disait que le développement de l’Afrique devait aussi respecter les chefferies traditionnelles. Il fallait qu’on trouve notre propre voie tout en s’enrichissant d’expériences venues d’ailleurs. »

Retour au Pays du sous lieutenant Thomas Sankara

De retour en Haute-Volta en 1973 avec le grade de sous-lieutenant, il est affecté à la formation des jeunes recrues.

Il s’y fait remarquer par sa conception de la formation militaire.

En effet, il inclut un enseignement sur les droits et les devoirs du citoyen, insistant sur la formation politique des soldats : 

« Sans formation politique patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance », a-t-il coutume de dire.

En décembre 1974, pour une bande de terre désertique revendiquée par les deux pays, le Mali et la Haute-Volta se livrent à un conflit de quelques jours surnommé « la guerre des pauvres ».

Le sous-lieutenant Thomas Sankara est envoyé au front et il réussit une percée dans le camp ennemi.

Ainsi, il s’illustre militairement lors de cette guerre, ce qui lui donne une renommée nationale.

Il fait la rencontre de Blaise Compaoré, qui deviendra son ami, son frère d’armes.

Ensemble, ils fondent le Regroupement des officiers communistes (ROC). En effet, les autres membres les plus connus sont Henri ZongoBoukary KaboreBlaise Compaoré et Jean-Baptiste Boukary Lingani.

Ensuite, Thomas Sankara devient en 1976 commandant du CNEC.

Le Centre national d’entraînement commando, situé à Pô, dans la province du Nahouri, à 150 km au sud de la capitale.

Et la même année, ils prennent part à un stage d’aguerrissement au Maroc.

Capitaine, il crée ensuite une organisation clandestine avec d’autres officiers. Il se rapproche de militants d’extrême gauche et fait de nombreuses lectures.

« De jour ou de nuit, il faisait les gardes comme n’importe quel soldat. Il s’est rendu populaire en faisant creuser un puits, en organisant des spectacles de moto et en construisant une salle de cinéma », se souvient Fidèle Toé, ami d’enfance et ancien ministre de Sankara.

Entrée en politique

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, la Haute-Volta connaît une alternance de périodes autoritaires et de démocratie parlementaire.

Les personnalités politiques sont coupées de la petite bourgeoisie urbaine politisée, et cette scission est renforcée par des scandales financiers.

Cela amène de jeunes officiers ambitieux et désireux de moderniser le pays comme Thomas Sankara à s’investir en politique. Se posant en contraste avec des hommes politiques plus âgés et moins éduqués.

Alors, un coup d’État militaire a lieu en novembre 1980. Mais le nouveau régime, bien que populaire, se montre rapidement répressif et lie l’armée à des scandales.

Mais Thomas Sankara ne participe pas au coup d’État, et ne s’y oppose pas non plus.

Thomas Sankara, un homme populaire mais réservé

Populaire, il est nommé en septembre 1981 secrétaire d’État à l’Information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo.

En effet, avant de démissionner en réaction à la suppression du droit de grève, déclarant le 21 avril 1982, en direct à la télévision : 

« Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ».

Il est alors dégradé et chassé de la capitale.

Le 7 novembre 1982, un nouveau coup d’État porte au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo.

Plus tard, ce dernier assurera que le coup d’État avait été préparé au seul profit de Thomas Sankara. Mais que ce dernier avait décliné l’offre au dernier moment.

En effet, on l’avait donc choisi, contre son gré, parce qu’il était l’officier le plus ancien dans le grade de commandant.

Ainsi, Sankara devient Premier ministre en janvier 1983 d’un Conseil de salut du peuple (CSP). Position acquise grâce au rapport de forces favorable au camp progressiste au sein de l’armée.

Il se prononce ouvertement pour la rupture du rapport « néocolonial » qui lie la Haute-Volta à la France : 

« Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble. L’impérialisme qui nous regarde est inquiet. Il tremble. L’impérialisme se demande comment il pourra rompre le lien qui existe entre le CSP [le gouvernement] et le peuple. L’impérialisme tremble. Il tremble parce qu’ici à Ouagadougou, nous allons l’enterrer ».

Il poursuit sur cette ligne en invitant, en avril, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Le 17 mai, il est limogé et mis en résidence surveillée, peut-être sous la pression de la France.

Coup d’État et révolution démocratique et populaire

Des manifestations populaires soutenues par les partis de gauche et les syndicats contraignent le pouvoir à libérer Sankara.

Le 4 août 1983, la garnison insurgée de Pô arrive à Ouagadougou accompagnée d’une foule en liesse.

Ce nouveau coup d’État consacre la victoire de l’aile « progressiste » de l’armée menée par le capitaine Thomas Sankara, qui est placé à la présidence du Conseil national révolutionnaire.

Ainsi, avec son ami Blaise Compaoré mais aussi Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani, ils prennent le pouvoir.

Il constitue un gouvernement avec le Parti africain de l’indépendance et l’Union des luttes communistes reconstruite (ULC-R) et déclare que ses objectifs sont : 

« Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme moyenâgeux ou d’une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir. Briser et reconstruire l’administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que, sans formation patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance ».

Il s’entoure de cadres compétents, défend la transformation de l’administration, la redistribution des richesses, la libération des femmes, la responsabilisation de la jeunesse, la décentralisation, la lutte contre la corruption, etc.

Le 4 août 1984, la République de Haute-Volta est renommée Burkina Faso.

Thomas Sankara

Thomas Sankara, un président aimé et respecté

Travailleur acharné, parfois autoritaire, il n’apparaît qu’en treillis avec, à la ceinture, un pistolet à crosse de nacre offert par le dirigeant nord-coréen Kim Il-sung.

Il vit simplement, avec sa femme et ses deux fils dans un palais présidentiel délabré et n’a pour seuls biens que sa guitare et sa Renault 5 d’occasion, un véhicule qu’il impose comme voiture de fonction à tous les membres du gouvernement.

Avec l’autorité d’un capitaine, il impose l’exemplarité autour de lui. 

« Par cette intégrité que personne ne lui contestait et parce qu’il a réduit de manière significative le train de vie de l’Etat, les Burkinabés ont adhéré à sa vision, analyse Serge Bayala, membre du Balai citoyen, un mouvement populaire burkinabé issu de la société civile. En s’investissant totalement dans sa mission et en vivant simplement, Thomas Sankara a montré l’exemple. Les Burkinabés ont consenti à faire des efforts parce qu’ils savaient que leurs impôts ne finiraient pas dans la poche d’un ministre corrompu ou celle d’une multinationale étrangère. »

Le camarade président, qui se nourrit de lectures théoriques marxistes-léninistes, s’attelle à réduire le train de vie de l’Etat et décide de vendre les limousines des ministres pour rouler, lui compris, en Renault 5. Il impose aussi à ses collaborateurs de déclarer leur patrimoine à une haute autorité et publiquement à la radio. 

« A titre personnel, je possède un salon complet et une bibliothèque qui devrait être livrée incessamment. Je possède également trois guitares sèches. Je les cite parce qu’on leur attribue beaucoup de valeur », a-t-il lui-même déclaré, mêlant sérieux et humour.

Dans une maison modeste qu’il rejoint parfois le soir en vélo, il vit simplement et ses parents continuent d’habiter dans leur pavillon de Paspanga, un quartier populaire.

Un président qui dérange

Sur la scène internationale, ses relations avec les autres pays sont parfois complexes. Ses prises de position, ses liens avec les sulfureux dirigeants de la Libye et du Ghana lui valent quelques inimitiés en Afrique, à commencer par la Côte d’Ivoire, où Felix Houphouët-Boigny redoute que la jeunesse ivoirienne s’inspire de celle du Burkina Faso.

Au président français François Mitterrand, qui avait accueilli officiellement le Sud-Africain Pieter Botha, lié à l’apartheid, il donne une leçon sur les droits de l’homme.

Thomas Sankara appelle aussi l’Afrique à ne pas payer sa dette aux pays occidentaux : 

« La dette ne peut pas être remboursée parce que si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûrs. Par contre, si nous payons, nous allons mourir. Soyons-en sûrs également. »

Il inquiète, dérange de vieux bastions et se sait menacé. En 1987, il déclare :

« Je me sens comme un cycliste qui est sur une crête et ne peut s’arrêter de pédaler sinon il tombe. »

Dans sa volonté de réforme, le président va trop vite et commet des erreurs, comme le remplacement d’enseignants par des révolutionnaires totalement inexpérimentés.

Des opposants à la révolution sont réprimés par les Comités de défense de la révolution (CDR) qui se comportent parfois en milice et une répression s’abat sur les syndicats. 

« Thomas Sankara était déçu et, pour le quatrième anniversaire de la révolution, son bilan était critique, se souvient Bernard Sanou. Il s’est rendu compte que des gens l’avaient suivi par effet de mode mais sans réelle conviction. Certains se disaient fatigués par cette révolution à laquelle ils ne comprenaient plus rien. Thomas est parti avec le sentiment d’être incompris. »

Le 4 août 1987, Thomas Sankara fait une pause dans le processus. S’il bénéficie encore d’un large soutien, notamment chez les jeunes, une partie de l’armée, attisée par Blaise Compaoré, numéro deux du CNR, lui devient hostile.

La fin d’un homme intègre

Les dissensions avec Compaoré, ne vont cesser de croître au cours de l’année 1987. 

« Je lui ai proposé de faire arrêter Blaise, mais Thomas ne voulait pas qu’on touche à un cheveu de son ami, dit Boukary Kaboré, commandant du Bataillon d’intervention aéroporté de Koudougou. Cette amitié était sacrée. »

« Même dans sa mort, Thomas est resté honnête et fidèle, assure Valentin Sankara. Plus de trente ans après, on le cite encore en exemple pour son courage et son intégrité. »

Le 15 octobre 1987, après quatre années au pouvoir, il est assassiné avec douze de ses compagnons lors d’un putsch qui laisse Blaise Compaoré seul au pouvoir.

La mort de Thomas Sankara est restée taboue pendant les vingt-sept années au pouvoir de Blaise Compaoré, qui a été renversé en 2014 et vit aujourd’hui en exil en Côte d’Ivoire.

La Rédaction

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