W. E. B. Du Bois, une des plus grandes figures de l’histoire noire américaine
William Edward Burghardt Du Bois, ou W. E. B. Du Bois est né le 23 février 1868 à Great Barrington dans le Massachusetts. Ses parents étaient Alfred et Mary Silvina (née Burghardt) Du Bois.
La famille de Mary Silvina Burghardt était issue de la très petite population noire et anciennement libre de Great Barrington possédant depuis longtemps des terres dans l’État.
Elle avait des ancêtres hollandais, africains et anglais. L’arrière-grand-père maternel de William Du Bois était Tom Burghardt. Un esclave (né en Afrique de l’Ouest vers 1730) appartenant au colon hollandais Conraed Burghardt.
Tom servit brièvement dans l’Armée continentale durant la guerre d’indépendance des États-Unis. Ce qui lui a peut-être permis de gagner sa liberté.
Jack Burghardt, le fils de Tom, était le père d’Othello Burghardt, lui-même le père de Mary Silvina Burghardt.
L’arrière-grand-père paternel de Williams Du Bois était James Du Bois. Un franco-américain descendant de huguenot de Poughkeepsie dans l’État de New York, qui eut plusieurs enfants avec des esclaves.
L’un des enfants métis de James était Alexander. Ce dernier s’installa à Haïti, et eut un enfant, Alfred, avec une femme de l’île.
Alexander retourna au Connecticut et laissa Alfred avec sa mère à Haïti.
Alfred s’installa aux États-Unis vers 1860 et épousa Mary Silvina Burghardt le 5 février 1867 à Housatonic dans le Massachusetts.
Alfred quitta Mary en 1870, deux ans après la naissance de William.
La mère de William travailla pour entretenir sa famille. Cela, jusqu’à ce qu’elle soit victime d’une attaque au début des années 1880. Elle mourut en 1885.
La communauté essentiellement blanche de Great Barrington était assez tolérante et Du Bois fut peu victime de discriminations.
Il étudiait à l’école publique locale et jouait avec ses camarades blancs. Les enseignants encouragèrent ses activités intellectuelles. Et sa réussite scolaire le poussa à considérer qu’il pourrait utiliser son savoir pour aider les Afro-Américains.
Lorsque Du Bois décida d’entrer à l’université, la congrégation de son église finança ses frais de scolarité.
Études supérieures
Du Bois entra à l’université Fisk. Une université traditionnellement noire à Nashville dans le Tennessee et y étudia de 1885 à 1888.
C’est à cette époque que Du Bois expérimenta pour la première fois le racisme présent dans le Sud des États-Unis avec l’intolérance, les lois Jim Crow et les lynchages.
Ayant obtenu son baccalauréat universitaire, il étudia au Harvard College de 1888 et 1890. Et il fut largement influencé par son professeur de philosophie, William James.
Du Bois finança ses trois années à Harvard avec l’argent obtenu grâce à:
- Des travaux d’été,
- Aussi, des héritages,
- Des bourses
- Et des prêts d’amis.
En effet, en 1890, Du Bois obtint son second baccalauréat universitaire en histoire.
Et en 1891, Du Bois reçut une bourse pour étudier à la faculté de sociologie de Harvard. En 1892, Du Bois obtint une aide du fond John Fox Slater pour entrer à l’université Humboldt de Berlin.
Durant ses études à Berlin, il voyagea dans toute l’Europe. Il étudia avec d’éminents spécialistes allemands en sciences humaines et sociales. Dont Gustav von Schmoller, Adolph Wagner et Heinrich von Treitschke.
Du Bois rentra aux États-Unis pour achever ses études et en 1895. Il devint le premier afro-américain à obtenir un doctorat en philosophie de l’université Harvard.
Wilberforce et université de Pennsylvanie
À l’été 1894, Du Bois reçut plusieurs offres d’emploi dont une du prestigieux Tuskegee Institute ; il accepta un poste d’enseignant à l’université Wilberforce dans l’Ohio.
À Wilberforce, Du Bois fut fortement influencé par Alexander Crummell. Ce dernier considérait que les idées et les mœurs sont des outils nécessaires pour mettre en place des changements sociaux.
Alors qu’il se trouvait à l’université, Du Bois épousa Nina Gomer, l’une de ses étudiantes le 12 mai 1896.
Après deux ans dans l’Ohio, Du Bois accepta en 1896 un travail de recherche d’un an à l’université de Pennsylvanie en tant qu’« assistant en sociologie ».
Il réalisa des recherches sociologiques de terrain au sein des faubourgs afro-américains de Philadelphie. Ceux, qui formèrent la base de son étude, The Philadelphia Negro. Elle sera publiée deux ans plus tard alors qu’il enseignait à la Clark Atlanta University.
Il s’agissait de la première étude de cas sur une communauté noire.
Alors qu’il assistait à une réunion de la Negro Academy en 1897, Du Bois présenta un article. Article dans lequel il rejetait la demande de Frederick Douglass d’une intégration des Noirs dans la société blanche.
Il écrivit :
« Nous sommes des nègres, membres d’une vaste race historique qui a dormi depuis le premier jour de la création mais est restée à moitié réveillée dans les sombres forêts de sa patrie africaine ».
Dans le numéro d’août 1897 de The Atlantic Monthly, Du Bois publia Strivings of the Negro People. Son premier travail destiné au grand public. Dans ce dernier, il présentait sa thèse selon laquelle les Afro-américains devraient embrasser leur héritage africain.
« Entre moi et l’autre monde, il reste encore une question sans réponses :… Qu’est-ce que cela fait d’être un problème ?… On sent toujours sa dualité, une Américaine, une Nègre ; deux âmes, deux pensées, deux efforts irréconciliés ; deux idéaux opposés dans un corps noir dont seule sa force opiniâtre l’empêche d’être déchiré… Il n’africaniserait pas l’Amérique car l’Amérique a trop à enseigner au monde et à l’Afrique. Ne décolorerait pas son âme noire dans un déluge d’américanisme blanc. Car il sait que le sang nègre a un message pour le monde. Il souhaite simplement qu’il soit possible pour un homme d’être à la fois nègre et américain. Sans être maudit et rejeté par ses collègues, sans voir les portes de l’Opportunité se refermer violemment sur son visage. »
— Du Bois, « Strivings of the Negro People », 1897
W. E. B. Du Bois à l’Université d’Atlanta
En juillet 1897, Du Bois quitta Philadelphie et prit un poste de professeur d’histoire et d’économie à l’université traditionnellement noire d’Atlanta.
Sa première grande réussite académique fut la publication de The Philadelphia Negro, une étude sociologique détaillée des afro-américains de Philadelphie basée sur ses recherches de 1896 et 1897.
Cela représentait un pas important car il s’agissait de la première étude sociologique scientifique réalisée aux États-Unis et la première étude scientifique concernant les afro-américains.
Dans l’étude, Du Bois inventa l’expression « the submerged tenth » (« le dixième submergé ») pour désigner la classe inférieure noire anticipant ainsi l’expression « talented tenth » (« dixième talentueux ») qu’il popularisera en 1903 pour décrire l’élite noire.
La terminologie de Du Bois reflétait son opinion selon laquelle l’élite d’une nation, noire ou blanche, était la portion critique de la société responsable de la culture et du progrès.
Les textes de Du Bois à cette époque étaient souvent méprisants pour la classe inférieure avec des termes comme « paresseux » ou « peu fiable » mais, à la différence d’autres spécialistes, il attribuait les nombreux problèmes sociétaux aux ravages de l’esclavage.
La production de Du Bois à l’université d’Atlanta fut prodigieuse. Malgré un budget limité, il produisit un grand nombre d’articles sociologiques et organisa chaque année l’Atlanta Conference of Negro Problems.
Du Bois reçut également des subventions gouvernementales pour préparer des rapports sur la main d’œuvre et la culture afro-américaine.
Ses étudiants le considéraient comme un enseignant brillant mais également réservé et strict.
Booker T. Washington et le compromis d’Atlanta
Dans la première décennie du xxe siècle, Du Bois émergea comme le porte-parole des noirs américains juste derrière Booker T Washington.
Washington était le directeur du Tuskegee Institute et avait une influence colossale sur la communauté afro-américaine.
Il était l’architecte du compromis d’Atlanta, un accord tacite qu’il conclut en 1895 avec les chefs blancs du Sud qui avaient pris le pouvoir après l’échec de la Reconstruction.
L’accord prévoyait que:
- Les noirs du Sud se soumettraient aux discriminations, à la ségrégation, à l’exclusion du droit de vote et à l’interdiction du travail syndiqué ; que les blancs du Sud permettraient aux noirs de recevoir une éducation de base, des opportunités économiques et une égalité judiciaire ; et que les blancs du Nord investiraient dans les entreprises du Sud et financeraient les charités éducatives noires.
Opposition au compromis d’Atlanta par W. E. B. Du Bois
De nombreux afro-américains s’opposèrent à cette idée, dont Du Bois, Archibald H. Grimke, Kelly Miller, James Weldon Johnson et Paul Laurence Dunbar, représentants de la classe noire éduquée que Du Bois appela par la suite le « dixième talentueux ».
Du Bois considérait que les afro-américains devraient se battre pour obtenir l’égalité des droits plutôt que de subir passivement la ségrégation et la discrimination du compromis d’Atlanta.
Le militantisme de Du Bois se renforça à la suite du lynchage de Sam Hose qui eut lieu près d’Atlanta en 1899.
Hose fut torturé, brûlé et pendu par une foule de 2 000 blancs. Alors qu’il marchait dans Atlanta pour discuter du lynchage avec le rédacteur en chef d’un journal, Du Bois trouva les phalanges calcinées de Hose dans la devanture d’un magasin.
L’épisode horrifia Du Bois et il conclut qu’il est:
- « Impossible pour quelqu’un de rester un scientifique calme et détaché alors que des nègres sont lynchés, assassinés et affamés ».
Du Bois réalisa que « le remède ne consistait pas simplement à dire la vérité aux gens mais de les pousser à agir sur cette vérité».
En 1901, Du Bois rédigea une critique du livre de Washington, Up from slavery, qu’il développa ensuite et intégra à son essai Of Mr. Booker T. Washington and Others dans The Souls of Black Folk.
L’une des différences majeures entre les deux hommes était leur approche de l’éducation :
- Washington considérait que les écoles afro-américaines devraient se limiter à l’enseignement professionnel comme l’agriculture ou la mécanique.
- Du Bois pensait cependant que les écoles noires devraient offrir des cours d’arts libéraux car ces derniers étaient nécessaires pour créer une élite dirigeante.
Niagara Movement
En 1905, Du Bois et plusieurs autres activistes afro-américains pour les droits civiques dont Fredrick L. McGhee, Jesse Max Barber et William Monroe Trotter se rencontrèrent au Canada près des chutes du Niagara.
Ils rédigèrent une déclaration de principes s’opposant au compromis d’Atlanta et se regroupèrent au sein du Niagara Movement en 1906.
Du Bois et les autres « Niagarites » voulaient promouvoir leurs idéaux auprès des afro-américains mais la plupart des journaux noirs étaient contrôlés par des éditeurs partisans de Washington ;
Du Bois acheta donc une presse d’imprimerie et commença à publier le Moon Illustrated Weekly en décembre 1905.
Il s’agissait du premier hebdomadaire illustré afro-américain et Du Bois l’utilisa pour attaquer les positions de Washington mais le magazine disparut au bout de huit mois.
Du Bois fonda rapidement un autre périodique, The Horizon: A Journal of the Color Line, dont la parution commença en 1907.
Les Niagarites organisèrent une seconde conférence en août 1906 pour célébrer le centenaire de la naissance de l’abolitionniste John Brown sur le site de son raid contre un arsenal fédéral.
Reverdy Cassius Ransom prit la parole et critiqua le fait que l’objectif principal de Washington était de fournir du travail aux noirs :
- « Aujourd’hui, deux classes de nègres… sont à la croisée des chemins. L’une conseille la soumission patiente aux humiliations et dégradations actuelles… L’autre classe considère qu’elle ne devrait pas accepter d’être humiliée, dégradée et bloquée à une place inférieure … Elle ne croit pas au troc de son humanité pour un salaire ».
W. E. B. Du Bois – Les Âmes du peuple noir
Pour montrer le génie et l’humanité des Noirs, Du Bois publia The Souls of Black Folk (« Les Âmes du peuple noir »), une collection de 14 essais, en 1903.
Selon James Weldon Johnson, la signification du livre pour les afro-américains fut comparable à celle de La Case de l’oncle Tom.
L’introduction proclamait que « Le problème du xxe siècle est le problème de la ligne de partage des couleurs ».
Chaque chapitre commençait par deux épigraphes, l’un, d’un poète blanc, et l’autre d’un religieux noir, pour démontrer la parité intellectuelle et culturelle entre les cultures noire et blanche.
Un thème majeur de l’ouvrage était la double-conscience à laquelle les afro-américains devaient faire face :
- Être à la fois noir et américain, une identité unique selon Lewis, avait été un handicap dans le passé mais elle pourrait être une force dans le futur ;
« Par conséquent, la destinée de la race peut être conçue comme ne menant ni à l’assimilation, ni à la séparation mais à un trait d’union fier et endurant ».
Pour la spécialiste de la littérature négro-africaine Lilyan Kesteloot, ce livre est l’un des fondements de la pensée de la négritude.
Fin de la première Partie
Deuxième Partie
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