Anchaing et Heva, Les Nègres Marrons Réunionnais
La Légende d’Anchaing & Heva:
Nous vous proposons ici une version d’une histoire légendaire de l’île de La Réunion. L’histoire de ces marrons qui, au nom de la liberté, ont défié l’ordre colonial esclavagiste.
Sur la côte Est de l’île, il y avait un gros monsieur, esclavagiste, on l’appellera M. Alexis. Il se trouva à la tête d’une propriété si grande que celle-ci courait jusqu’à la montagne.
Lui même ne savait plus où finissaient ses terres et n’aurait pu dire le nombre d’esclaves qu’il possédait à ce jour.
Comme dans la plupart des propriétés, les esclaves travaillaient dur, mangeaient peu, recevaient souvent le fouet.
Hommes et femmes, attachés à moitié nus au milieu de la cour, avaient droit au chabouc sous l’œil du maître qui comptait les coups. Ainsi, allongé sous la varangue dans son fauteuil créole, sirotant un verre de rhum arrangé, profitant de ce bon moment de délassement.
Quand M. Alexis n’était pas trop fatigué, il tenait lui même la chabouc, question de faire un rien de sport, de transpirer un peu comme son médecin le lui conseillait parfois.
Et tous le craignaient !
Lorsque la colère le prenait, même les manguiers de la cour tremblaient, et sa femme se précipitait devant une image pieuse.
Seigneur, faites que la colère de mon mari tombe ! Je vous en supplie !
A vrai dire, une seule personne n’avait pas peur de lui : Sa fille.
Quoi qu’elle ne fût pas plus forte qu’un autre, ni plus courageuse pour résister ainsi à son père, elle traitait tout avec douceur.
Et puis, elle était si belle…
Les anges n’étaient-ils pas jaloux en la regardant ?
Un visage fait pour apaiser le cyclone, arrêter les laves du volcan, tarir les eaux des inondations.
Et son sourire, un baume à mettre sur les plaies des esclaves.
D’ailleurs, nombre d’entre eux supportaient le sort en remerciant le bon dieu de leur avoir donné la chance de voir de temps en à autre Mademoiselle Margot, qui plus d’une fois avait demandé qu’on arrêtât les coups de fouet.
Alors on lui expliquait que c’était pour le bien des esclaves.
- » Si celui qui le mérite n’a pas sa punition, le travail n’avance pas ! Et qui n’aura pas à manger ? »
- » S’il te plait, père ! Juste pour me faire plaisir. »
- » A s’il te plaît, ne me parle pas dans ce charabia ! »
Mais dès qu’il levait le regard sur la jeune fille, son cœur devenait doux, et les esclaves ne finissaient plus d’embrasser la terre pour la remercier.
- » Un jour ton bon cœur et ta sensiblerie te perdront » disait-il.
Mademoiselle Margot, d’un sourire plutôt triste, exprimait sa gratitude à son père.
La faute d’Héva
Un jour, Héva, une esclave qui travaillait dans la maison du maître commit une faute impardonnable :
Elle brisa un vase de fleurs en faïence, sans aucune valeur, et même quelque peu ébréché.
Madame lui dit de ramasser les morceaux rapidement, de les jeter et de tout nettoyer correctement, car elle ne souhaitait pas en parler à son mari.
Au fond, elle était même contente, elle n’aimait pas ce bibelot. Mais M.Alexis ne tarda pas à s’apercevoir de la disparition du vase, et sans chercher qui avait gagné où perdu, condamna Héva à 20 coups de chabouc.
Héva, il ne l’aimait pas. Il la trouvait trop belle pour une esclave, de plus elle était très intelligente.
Quelquefois il reconnaissait que si elle n’était pas noire ; il aurait peut être tenté une aventure avec elle.
Mais malheureusement pour lui, Héva était au service de Madame, qu’elle ne quittait jamais.
Et puis ce qui l’énervait davantage, c’est qu’Héva avait un amoureux depuis quelques temps, un certain Anchaing, un cafre de belle allure, musclé et sachant bien réfléchir.
Ce jour-là, en plein soleil de midi, le gros blanc profita de l’absence de sa fille pour faire fouetter Héva jusqu’au sang.
Lorsque Anchaing vit le sang couler sur le dos d’Héva, il serra les dents, gonfla la mâchoire, plissa les yeux.
Ce soir là, Héva et Anchaing décidèrent de se sauver dans les bois.
Ils préparèrent leur plan et, au cœur de la nuit s’enfuirent.
Malgré le ballot qui pesait sur son dos, Anchaing se sentait plus léger que le duvet de l’oiseau dans la brise du mois de mai.
A ses côtés, Héva avait même oublié la douleur de ses blessures.
Un parfum de liberté flottait dans l’air, et c’était bon.
Ils se dirigèrent vers la montagne, franchirent la rivière du Mât, traversèrent la forêt et un champ d’épines.
Au petit jour, ils arrivèrent au pied d’un pic couvert d’une végétation dense, l’eau d’une source coulait de tous côtés et sur le piton on avait regard sur tout…
Anchaing lâcha son ballot et dit :
Voilà qui fera notre affaire !
Après un court repos, ils prirent un sentier menant au piton, là haut, ils trouvèrent un plateau, défrichèrent et semèrent riz, patates et songes, puis ils construisirent une cabane.
Parfois, Anchaing allait pêcher l’anguille, le poisson, la crevette dans une mare située en aval;
Parfois il allait chasser le tangue et mettait la viande à boucaner.
Mais jamais il ne s’éloignait trop de leur gîte…
Pendant ce temps, Héva faisait le ménage et travaillait la terre.
Quelle vie tranquille ! Et pour montrer aux deux marrons à quel point il était généreux, Dieu permit au ventre d’Héva de s’arrondir.
Mais M. Alexis n’était pas resté les bras croisés. Il avait demandé à Bronchard, l’un des chasseurs de l’île les plus redoutable, de retrouver les deux fugitifs.
Il étouffait de rage. C’était bien la première fois qu’un esclave osait le narguer; de plus il était parti avec la belle Héva.
La chasse d’Anchaing et Heva
Bronchard se mit aussitôt en route. Il monta jusqu’au Grand Etang, dans les hauts de Saint Benoit, déboucha à Menciol, puis remonta la Rivière du Mât.
Sans résultat.
Un jour, il pénétra dans le cirque (espace semi-circulaire entourré par des montagnes) de Salazie et passa la journée à chercher de tous côtés.
La nuit tombait ; le temps se gâtait. Depuis deux ou trois nuits, il avait remarqué qu’une étoile de la constellation de Magellan disparaissait.
Mauvais signe.
Et puis, il faisait chaud, et l’air si lourd était presque irrespirable.
La peur gagna Bronchard :
- Si un coup de vent le surprenait dans la forêt, de nuit, il n’avait aucune chance de s’en sortir.
Il était au bord d’un rempart qui surplombait la ravine, et nul endroit où se protéger du vent, de la pluie. Alors il décida de faire demi-tour.
Mais soudain, il entendit le bruit d’un pas. Il se cacha derrière un arbre, le fusil prêt.
Un beau cafre, à moitié nu, déboulait dans le sentier. Bronchard reconnut son lièvre.
Anchaing, rends toi !
Le Noir Marron réalisa ce qui l’attendait. On allait le reprendre, le ramener sur la propriété, le fouetter, couper ses pieds, le remettre en esclavage. Plutôt mourir.
Sans hésiter, il se jeta dans le vide, en même temps qu’éclata un coup de fusil suivi d’un hurlement. Au bord du rempart.
Le destin d’Anchaing
Suite à cette disparution soudaine, Bronchard écarquilla les yeux.
Rien ne bougeait.
Il rechargea son arme.
Comme il devait ramener une main du fugitif, il lu fallait retrouver le corps au fond de la ravine.
Il s’apprêtait à descendre quand un souffle d’air lui brûla le visage, puis la pluie écrasa la végétation tout autour de lui.
Pas de chance. Il devait regagner la côte au plus vite. Il reviendrait chercher sa proie plus tard, dès la fin du mauvais temps.
Sous les gifles de la pluie, Anchaing finit par retrouver ses esprits.
Rien de grave, que des égratignures !
Je reviens de loin, merci Seigneur
Lorsqu’il se releva, il pensa à sa femme, à ses enfants, au fusil du chasseur.
Alors il se replia sur lui-même, un galet à la main. Le temps passa. Personne dans les parages, il partit alors à la rencontre des siens.
Pendant ce temps, chez le maître …
Après le passage du cyclone, M. Alexis tomba gravement malade.
Par ailleurs très occupé à la remise en état de sa propriété, il oublia Héva et Anchaing.
Mais plus le temps passait, plus ses forces déclinaient. Quelquefois, une quinte de toux le secouait ; d’autres fois c’était une violente fièvre.
Tous les médecins avaient défilé devant lui…
Un jour, il demanda à Bronchard d’aller s’assurer de la mort d’Anchaing, puis de lui ramener Héva, enchaînée.
La chasse repris
Le chasseur, à la tête d’une nouvelle expédition forte d’une douzaine de fusils entra dans le cirque de Salazie.
Deux par deux, ils fouillèrent les coins et recoins. Rien. Ils remontèrent les ravines, escaladèrent les remparts :
Toujours rien.
Après trois jours de marche, ils ne leur restaient plus qu’à grimper sur le pic planté au milieu du cirque.
Mais pourquoi l’auraient-ils fait?
Qui aurait bien pu avoir l’idée de vivre sur le piton ?
D’autant qu’il n’y avait pas de chemin d’accès…
Au même moment, sur le piton, estimant que le temps était propice à l’ensemencement, Anchaing s’apprêtait à brûler de l’herbe.
Non, Anchaing ! Pas aujourd’hui, mieux vaux attendre un peu…
Héva avait pressenti un danger…
De quoi a tu peur ? Personne ne viendra me chercher ici, ils pensent tous que je suis mort…
Comme à son habitude Anchaing ne revint pas sur sa décision et l’herbe brûla.
La fumée qui s’éleva du piton n’échappa pas à Bronchard.
Ses amis prirent chacun une machette pour ouvrir un sentier, faisant le moins de bruit possible à mesure qu’ils s’approchaient du sommet.
Lorsqu’Anchaing leva la tête, c’était trop tard. Le piège était refermé sur lui et les siens.
Le retour à la condition d’esclave
Bronchard enchaîna homme, femme et enfants.
Les chasseurs reprirent ensuite le chemin du retour. A leur arrivée sur l’habitation, ils apprirent que M. Alexis était mort et enterré depuis deux jours, que les rênes se trouvaient entre les mains de mademoiselle Margot, au grand soulagement des esclaves.
Enlevez leur les chaînes !
A genoux, Anchaing et Héva remercièrent la jeune femme.
» Relevez vous, vous êtes libres. Si vous voulez rester ici, il y à du travail pour vous ; si vous voulez repartir là d’où vous venez, on ne vous dira rien »
Anchaing travailla pendant un temps pour mademoiselle Margot, sans doute afin de lui prouver sa reconnaissance, puis, répondant à l’appel de la montagne, il refit son ballot et regagna le cirque de Salazie.
Sur le piton Héva lui donna d’autres enfants, et sur le piton ils moururent.
Si un jour vous passez près du piton d’Anchaing, écoutez bien, peut être entendrez vous Héva et Anchaing qui tout là haut défrichent un autre carré de terre pour planter…
Source : Réunionpassion
Voir aussi :
- Edmond Albius
- Grandy Nanny
- Les Salazienne relatent la legende Anchaing
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